Je ne sais pas pourquoi je m’étais mis en tête que les gua bao étaient compliqués. Peut-être à cause de leur nom, qui claque comme une formule magique. Ou parce qu’on les voit toujours bien dodus, parfaitement pliés, servis dans des paniers vapeur avec la petite feuille de papier qui dépasse. Trop nets pour être simples. Et puis un jour, j’ai essayé. Juste de la farine, de l’eau, un peu de levure. Pas plus mystique qu’une pâte à pain un peu souple, qu’on plie, qu’on laisse gonfler, qu’on cuit à la vapeur.
J’ai compris en les faisant que le secret, ce n’était pas la technique, c’était l’élan. Ce petit moment où tu te dis : « j’ai rien prévu, mais j’ai de la farine, et j’ai faim ». Parce qu’une fois que t’as les petits pains, tout le reste suit. Tu ouvres le frigo, tu grattes le fond du bac à légumes, tu haches, tu fais sauter, tu ajoutes un trait de sauce, et tu construis quelque chose qui tient debout, qui se mange à la main, et qui a le goût de ce que tu avais sous la main.
Ce pain vapeur vient de Taïwan, où on le farcit traditionnellement de poitrine de porc braisée, de pickles, d’herbes fraîches, et de cacahuètes pilées. Un plat de rue, rapide à manger, pensé pour être généreux. On l'appelle aussi "tigre qui mord", à cause de sa forme. Moi je trouve que ça ressemble plus à une étreinte. Un nuage tiède qui vient englober tout ce que tu mets dedans, sans faire de manières.
Ce jour-là, j’ai pris ce qu’il me restait : une carotte, un oignon rouge, une vieille pomme de terre, des fanes, un bout de céleri. Je les ai fait revenir doucement, avec de l’ail et du gingembre. Puis j’ai ajouté ce qui croquait : du chou rouge, des concombres, des cacahuètes, et un peu de coriandre. Rien de spectaculaire, mais l’ensemble avait du répondant. C’était chaud, froid, tendre, juteux, un peu piquant. Un vrai mélange, sans hiérarchie.
Et c’est là que le gua bao fait sa magie. Il ne juge pas. Il accueille. Il transforme les restes en plat complet, les fonds de frigo en street food joyeuse. Il te rappelle que parfois, tu n’as pas besoin de plus. Que tu peux faire simple, et que ce sera suffisant. Parfois même, meilleur que ce que tu aurais prévu.